Tombé hors du temps
Publié le 18 Octobre 2023
Tombé hors du temps
David Grossman
La seule et unique manière du supporter moins mal sa disparition est d'y poser des mots.
Mais que c'est difficile de trouver les bons.
Pour cette raison, ceux des autres me sont indispensables.
J'ai donc lu "Tombé hors du temps" de David Grossman.
Etrange.
Très.
Ni roman, ni poème, ni biographie, ni fiction. Mais tout à la fois.
Magique, c'est certain.
Le titre lui-même est significatif et me donne des repères. Depuis la disparition d'Hélène, le temps n'est plus le même. Et je ne parle pas uniquement de celui lié à la météorologie, qui s'est emballé depuis.
Je parle de celui qui passe. Enfin, qui passait. Car depuis, je vis en dys-synchronie. Ma chronologie dysfonctionne: je suis là, en octobre 2023, 3 ans après sa disparition, mais je suis aussi là-bas, en août 2020, avec elle.
Dans ma tête, c'est les grands travaux.
A perpet.
Qu'importe!
Les personnages croisés dans ce livre sont eux-aussi, un peu perdus dans le temps, entre maintenant et avant, au même moment; bref, hors du temps.
Les mots de ce livre m'ont aidée.
J'en retranscris quelques-uns.
" Je veux apprendre à séparer
La mémoire
De la douleur. Du moins en partie,
Autant que possible, afin que tout le passé
Ne soit pas à ce point imprégné de douleur.
De la sorte, je pourrai aussi me souvenir de toi davantage [...]
(Je ne rêve pas? C'est bien ce que je tente de faire en tenant tête à la faucheuse, afin qu'elle ne détruise pas tout? Ouf, me sens moins seule...pas si "so lonely" que ça.)
" Il est mort en août, et quand est arrivée
La fin
Du moins, je n'ai pas arrêté
De penser: Comment vais-je pouvoir
Passer à septembre
Sachant qu'il va rester
En Août?"
( ça résonne grave! Août...)
" La première année
Après, quand j'étais seul à la maison,
Je t'appelais parfois
Par ton surnom
D'enfant.
Avec la force que je n'avais pas,
Dans une sorte de folie, d'imprudence
De l'esprit et du corps, je versais
Dans le mot bref,
Désiré,
Toutes les poudres magiques:
L'intimité
La sérénité,
Le quotidien, une espèce
D'équanimité...
Et je lançais alors
Sur un ton faussement distrait:
Ouhi?
Si je réussis à opérer ce miracle, espérais-je
(Imaginais-je, tramais-je),
Tu ne pourras pas te dérober
A cette simplicité,
Qui franchit
Les frontières
Et les mondes-
Je dirai "Ouhi", et tu
Glisseras jusqu'ici et tu te concrétiseras
En un rien de temps, écho
De mon appel,
Comme une petite vague
Partie de là-bas
Qui s'écoulera
Dans l'être. [...]
( Donc, lorsque seule dans la maison, j'appelle "Lénou??T'es où???", ce n'est pas totalement frappadingue. Après tout, jusqu' à 2020, je le faisais. Et elle n'entendait pas tjs. Pourquoi ne pas continuer...)
" Comment est-ce possible, mon enfant,
Que de tous les mots
Qui existent,
Il y en ait un
Auquel jamais
Plus jamais
Il ne me sera répondu?"
J'arrête ici les extraits.
Il y en a tant d'autres qui résonnent .
Il me faut ce livre. Que je le garde jusqu'à ma fin.