La Faucheuse

Publié le 22 Mars 2023

Même si, il faut bien l admettre , nous sommes les plus gros fautifs, je ne peux m empêcher de désigner un autre coupable que moi-même.

Ne serait-ce que, parce que bien d autres personnes sont décédées jeunes de maladies sans pour autant avoir été les victimes de négligence de la part de leurs parents. 

Hélène a tellement répété qu' elle était fatiguée.

A ma décharge, je peux dresser la liste de ce que j ai tenté de faire lors de ses plaintes, mais, il semble que nous avons eu des " étoiles contraires":

- sous mes conseils, elle devait tenter de reprendre le sport en extérieur, et surtout de monter au pas de course la côte de la basilique de Longpont, notre repère. Le confinement lié au COVID lui a fait perdre ce rythme et cette opportunité de pouvoir " mesurer" sa fatigue.

- elle devait aller en parler à son médecin traitant. Après prise de rdv, celle ci ne pouvait la recevoir avant 15 j. Hélène a estimé que dans 15 jours, elle irait mieux.

- les données qu elle aurait pu recueillir par elle même sur son propre état ont été faussées par son opération des dents de sagesse. Elle a eu du mal à remonter la pente et lorsqu elle est allée à son rdv de contrôle, elle a evoqué la fatigue . Le chirurgien lui a demandé si elle était "moins fatiguée que la veille". A son affirmation, il a rétorqué qu elle serait sans doute "moins fatiguée le lendemain".

- en juin, la chaleur était déjà très élevée. Il était bien difficile d aller courir ou marcher . Je revenais exténuée du travail , au bord du malaise en raison de la chaleur étouffante dans une pièce comble exposée au soleil et du manque d'air . Ce printemps 2020 a été très chaud: c est la premiere année où les figuiers et les pommiers du jardin n ont donné aucun fruit..

Je ne pouvais pas lui proposer une balade un peu rythmée dans la vallée. Plusieurs soirs, elle est venue me chercher en vélo et nous sommes rentrées ensemble . Mais pédaler avec une vieille qui sort rincée du boulot après avoir baigné dans une classe bien exposée au soleil, laisse peu de chance à une jeune de 20 ans de mesurer sa fatigue.

Dès que nous avons été en vacances, sa première randonnée a été bien inquiétante . Mais j avoue avoir été bienheureuse de baisser le rythme de la marche . J étais moi même un bien mauvais repère. Malgré tout, nous étions parties avec l' intention de nous concentrer sur elle, enfin maitres de notre temps.

Si la marche en Corse lui était inaccessible, elle nageait bien, longtemps, sans difficultés. Lors de notre dernière baignade, nous étions parties toutes les deux en masque et tuba dans la petite crique où nous avions vu la tortue de mer, lorsque nous avions fait une balade en kayak familial à l'occasion de l'anniversaire de Mélissa. Alors que nous nous faufilions entre algues et rochers, Hélène a subitement ouvert d'énormes yeux, et m'a fait signe qu'elle reboussait chemin, Elle s'est mise à crawler si vite que j'ai eu du mal à la suivre. Arrivée sur la plage , elle m'a expliqué avoir aperçu une méduse. Elle n'était ni essoufflée, ni fatiguée après cette petite course. En sortant de cette crique, pour regagner la route, il a fallu emprunter une chemin, type raidillon, se terminant par un "coup de grâce", une élévation du terrain qui nous demandait autant d'efforts que de passer une volée de 5 marches à la fois. Elle était devant moi. Nous avons donc utilisé notre technique familiale du "Pousse au cul", afin que ses petites gambettes passent l'obstacle. On devait être aux alentours du 22 juillet. Cette séance nage-méduse-raidillon" ne laissait aucunement présager une telle catastrophe.

Lorsque nous partions nager le matin, remontant à la nage la plage de Solenzara pour atteindre les rochers et observer les poissons, comme à son habitude, elle prenait le bateau et ramait à nos côtés. Elle nous suivait, faisant des aller-retours entre chacun de nous, durant plus d'une heure , sans manifester de fatigue. Elle pouvait marcher pour aller en ville, sans plus de soucis que Mélissa pour aller faire les courses à pied ou un peu de "shoppping".

Tant que le sol était plat, pas d essoufflement. Les journées calmes, que nous passions comme tout vacancier , à lire à l ombre des eucalyptus et à nous tremper dans l eau claire, Hélène se disait en forme. 

J avoue m être seulement alarmée lorsque j ai remarqué qu' elle ne prenait pas de couleurs. Sans même s exposer , Hélène avait la peau la plus mate de la famille . Mélissa rosissait légèrement , Hélène restait pâle. J ai pensé anémie et nous sommes allés lui acheter du fer....et du boudin, elle qui s efforçait d être "vegan".

C'est à ce moment que nous avons réussi à la convaincre, enfin, de prendre rdv avec notre médecin, plus disponible que le sien. Notre médecin est un homme. Et jusqu'ici, Hélène refusait notre proposition et s'entêtait à vouloir être suivie par une femme. Le RDV était pris pour la semaine suivante, à notre retour.

A notre retour sur St Mich, la chaleur était tjs aussi difficile à supporter. Le lundi 27 juillet, au plus tôt, nous sommes allées nourrir un chat, de l autre côté de la vallée. Et donc, en empruntant une belle côte. Là , tout a recommencé. Hélène a eu beaucoup de mal à arriver jusqu au bout. Le rdv était pour le lendemain et je me souviens avoir écrit à Didier que son état était très très inquiétant, et que j'attendais le RDV avec beaucoup d'impatience.

Le lendemain matin, pour retourner nourrir le chat de " je ne sais plus qui", nous avons pris la voiture. La matinée fut épique: Hélène a beaucoup ri. En arrivant dans cette maison inconnue, dans laquelle un chat que nous n 'avions encore jamais vu venait chercher son repas, nous avons retrouvé la poubelle de la cuisine remplie de vers. Version mi-kholanta, mi-Fort Boyard,   il nous a fallu tout nettoyer et vider cette poubelle grouillante, farfouiller dans les placards. Nous chantions le générique et lorsqu'elle a trouvé les sacs en plastique destinés à changer la poubelle, elle répétait " Prend les sacs, vite, vite" versus " prends la clé, vite, vite!". Helene a été très active . Rien n était soupconnable.

Durant sa courte hospitalisation, Hélène m'avait demandé s'il m'était possible de savoir à quoi ce mystérieux chat ressemblait. nous l'avions surnommé " L'autre"

Nous sommes reparties , poubelle grouillante à la main, cherchant un endroit où la déposer.

Hélène a réussi à la mettre dans la poubelle du parking de la vallée de l Orge, à Ste Gen.

Elle a ri, encore, beaucoup, car le sac a eu bien du mal à rentrer dans l orifice de la poubelle. Elle a du pousser, tirer, repousser, tasser. Le sac à vers a fini par entrer, en se déchirant. 

Mais je me souviens de son rire et de cet aller retour pour nourrir un chat que nous n avons jamais vu, dont nous ne connaissions pas les propriétaires, et qui se terminait en micro aventure gore où l enjeu était de se débarrasser d un sac grouillant et puant, sous une chaleur inouïe.

Le soir même, elle avait rdv chez le médecin.

Le lendemain matin, c est devant le laboratoire d analyses qu elle m attendait pendant que j allais faire le plein de boîtes de vitamines, pour elle.

Fin septembre de la même année, je refermais la grille de mon jardin lorsqu' une femme s est approchée de moi. Elle s est présentée . Elle connaissait Hélène pour passer régulièrement devant la maison promener son chien ( Hélène le surnommait  "la petite crotte"), qu Hélène ne manquait pas de caresser.

Elle travaille au laboratoire médical et c est elle qui a pratiqué la prise de sang ce matin du 29 août. Lorsqu elle a vu les résultats , elle a vite compris et appelé le médecin, qui a de suite appelé Hélène, mais, m a-t-elle affirmé , jamais , jamais, elle ne se serait doutée, en la voyant s assoir dans le fauteuil, en parlant avec elle,  qu elle était aussi bas . 

"Elle n aurait pas dû pouvoir se tenir debout"

M a-t-elle répété.

Il est vrai qu Hélène, tout feu tout flamme, était forte. Trop forte?

Dans la bibliothèque de ma classe, il y a un roman qui s intitule :

        " Une petite fille trop trop forte".

Il me fait penser directement à Hélène .

Trop forte 

Trop pour que sa fatigue nous interpelle à temps.

Les médecins nous ont assurés que sa maladie avait été prise à temps. Sans qu on leur demande quoi que ce soit.

J ai tjs pensé qu ils disaient cela à tous les branquignoles qui arrivaient trop tard 

D' un autre côté , ils avaient l air tellement heureux de l état de santé d Hélène, de ses bonnes réactions aux tout premiers traitements .

 

Hélène et Choupi

 

 

 

 

 

Rédigé par latitevadrouille

Publié dans #La boite noire

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