Vider les lieux

En août 2020, tout a été si soudain, que nous n avons pas eu le temps de réfléchir.

 Tout a été fait dans la violence et l urgence.

Nous avons donc enchaîné, comme lobotomisés, les épouvantables démarches: morgue, crématorium, déclaration de décès aux diverses administrations. Les papiers officiels ont tous été rassemblés dans un panier en osier qu Hélène et Mélissa étaient allées m' acheter en Corse 2 semaines plus tôt, lors d un moment " shopping".

Nous avons déposé le panier  contre le mur du salon. Depuis, nous n avons pas encore eu le courage d y toucher.

Figé. Comme le calendrier de la cuisine.

Puis, il nous a bien fallu aller vider son appartement, à Lille .

Nous sommes partis avec Louis. Nous sommes arrives un jeudi soir.J ai dormi dans son petit lit. Didier et Louis sur des matelas .

Le lendemain matin, nous avons commencé notre " nettoyage". Armés de plusieurs grandes valises vides, nous avons emporté le maximun. Qqs sweats ne rentraient plus. Je les ai empaquetés et Louis a eu le courage d aller les déposer dans une benne de récupération de vêtements. Il fallait faire vite, ne pas s attarder,ne pas réfléchir.

Tous ses cours  et le contenu de son bureau ont eté méthodiquement rangés dans les valises et des grands cartons. Dans la salle de bain , le petit meuble composé de 3 tiroirs en plastique sur lequel trônaient ses parfums a été chargé tel quel dans la voiture, et déposé tel quel dans la salle de bain de St Michel.

Vers 17h, l appart était vide, propre, prêt pour accueillir une autre locataire.

J ai pris qqs dernières photos de ce petit studio qu elle aimait tant, et, heureusement, ses amis nous attendaient dans un café voisin pour un dernier verre. Un peu de douceur, avant de reprendre la route.

Il est tout à fait impossible qu'ils mesurent l importance et l'impact de ce " petit verre". Nous-mêmes, alors, nous l ignorions.

Mais encore, en 2022, ce " petit verre" agit comme un sacré bon pansement , incroyablement  efficace, sur une journée immonde.

Il y avait Benoît, Jules et une jeune fille qui est arrivée plus tard, essoufflée. A mon grand regret, son nom ne me revient pas. Mais quel plaisir d avoir leur souvenir ancré supplanter celui de nos gestes vidant  tiroirs, placards, effacer toute trace d'elle.

Je n' ai pas eu le courage de rendre les clés aux propriétaires qui l avaient si bien reçue, allant jusqu'à la meubler d un canapé lit et d un bureau qu ils ont livrés eux mêmes.

Didier y est allé seul.

Je suis restée avec ses amis et Louis.

Trop heureuse que ses amis aient été là ce jour.

Maintenant, c'est sa petite chambre de St Michel qu il va falloir vider.

Je commence, doucement.

Très doucement.

Je commence par ses feutres, ses " crAayons", auxquels elle tenait tant. Ils sont desséchés, depuis . 

Mais, impossible de les balancer.

Je vais d abord les lui apporter.

Dans son placard, j ai trouvé un petit panier en osier, un gobelet vert. J ai photographié qqs dessins enfantins qu elle avait réalisés en 2020, durant le confinement, à l occasion d un jeu coopératif qui consistait à décorer ses fenêtres afin d égayer les rues pour que chaque voisin puisse, de sa fenêtre ,observer les " chefs d œuvre " des autres. Elle avait affiché par la suite ces dessins dans sa chambre. Quant à l aquarelle sur l automne réalisée au collège, elle a été plastifiée.

Ses " oeuvres" seront déposées dans son panier, dans lequel de fausses fleurs donneront un air de " panier d artiste champêtre".

Tout cela décorera sa tombe, de manière à parler un peu d elle.

Voilà, petit à petit ...sa chambre va se vider d un tout petit peu de ses affaires.