Jour de colère

Publié le 9 Octobre 2022

J’avoue avoir du mal à accepter qu’il puisse exister un chemin de deuil, puisque je n’ai aucune envie d’avancer.

Je veux rester là où elle était, en 2020.

J’ai une énorme envie de devenir folle et de réussir à me dédoubler : une moitié avec elle en 2020, genre « une histoire sans fin » à revivre toujours la même journée avec une fin différente et à améliorer à chaque fois, une autre moitié qui continue et qui fonctionne avec les repères habituels : le travail, les collègues, les tâches quotidiennes, la routine : c’est mécanique, mais, ça permet de garder un peu de stabilité.

J’ai lu un peu. Mais ce que je préfère, ce sont les livres qui témoignent de la douleur d’un frère ou d’une sœur.

Le « moi, on ne m’a jamais demandé comment j’allais » est juste une énorme bouée. Tant de similitudes. Pour le frère endeuillé, j’ai aimé « Une amie de la famille », avec le témoignage de ce frère, tant d’années plus tard.

J’ai voulu participer aux réunions d’"Apprivoiser l’absence". Mais, le soir, sur Paris, après une journée de travail, c’est bien trop compliqué pour moi. Je fatigue. J’ai donc renoncé. Plus simple. J’ai pensé « psy ». Mais, non ! Je suis passée aux AD, légers. La chimie, c’est fantastique ! Facile, pratique. Je cherche la simplicité. Bref, je fais de mon mieux , puis, je choisis ce que SON tempérament me dicterait : la révolte, la colère, ne pas lâcher, ne pas m’effondrer, boxer, taper…

Mais, contre qui, contre quoi ?

Il n’y a pas d’autre responsable de Dame Nature.

Il s’agit d’une maladie, une leucémie, qui est arrivée vite, a été prise à temps, mais, qui a rencontré l’acharnement de la Faucheuse : c’est, au final, un AVC qui l’a emportée 5 jours après le diagnostic, 5 jours après son hospitalisation, et ses tout premiers traitements qui agissaient déjà bien, rendant l’équipe médicale bien joyeuse.

Au départ, je fus donc en colère contre Dame nature.

Après une semaine de coma artificiel, le cerveau en bouillie, les médecins ont cessé la bataille, déjà perdue : c’était un 9 aout.

Ce jour-là, la chaleur était à son comble, le sommeil douloureux, poisseux, suffocant. Dans notre maisonnée, nous faisions tous semblant de nous y perdre, cherchant un repos , un réconfort qui ne pouvait venir de nulle part, tétanisés, nous demandant encore à quel moment nous allions nous réveiller de ce p… de cauchemar. Nous respirions avec peine.

C’est à ce moment que la tempête s’est levée.

En pleine région parisienne ! Une tempête, oui ! Des rafales de vent, des éclairs, le tonnerre : une violence inouïe, encore ! Avec l’impression d’assister, impuissants, à un combat de géants au-dessus de nos têtes !

Nous en étions à nous demander qui étaient donc ces entités qui bataillaient si violemment par delà notre toit lorsque l’électricité a été coupée. Ila fallu sortir. Le bruit à l’extérieur était épouvantable : vent, pluie, tonnerre, et branches d’arbre arrachées. Alertés par toute cette fureur, les lumières s’allumaient chez nos voisins .

Mais pas chez nous.

Une branche énorme venait de s’abattre sur notre seul câble d’alimentation.  Nous étions les seuls à être plongés dans l’obscurité.

La-haut, le combat continuait. Dame Nature ? Furieuse contre elle -même, prenant conscience de son erreur ? Mais, pourquoi notre câble ? Y aurait-il autre chose, là-haut, encore ? La mort, sans aucun doute. La bien nommée: « la faucheuse ».

Pas encore rassasiée ? Hélène, ce n’était pas suffisant ?

Elle s’acharnait, visiblement. Et quelque chose lui faisait front ! Les secours sont arrivés : Durant deux heures, les tronçonneuses ont tenté de couvrir le bruit des éclairs. Puis, l’orage s’en est allé, les branches ont été dégagées, le câble électrique réparé. La lumière est revenue.

Nous nous sommes recouchés en nous demandant, ce qu’il se passait réellement : nous étions si impuissants, si petits, si rien sans elle.

Depuis, je me dis que s’il y a un coupable, il est bien invisible et nous sommes bien impuissants face à lui. Je l’ai nommé Faucheuse et j’ai décidé de lui pourrir la vie. Elle veut détruire, enlaidir, faire souffrir ? Je construirai, j’embellirai et je sourirai !

Je me dis qu’elle doit se délecter des larmes de ceux qui pleurent leurs aimés. Je l’imagine, flottant dans les allées des cimetières, la nuit, lorsque le terrain lui appartient et qu’elle n’est pas dérangée.

Elle n’aura pas ma douleur, elle n’aura pas ma peine.

Elle n’aura que ma haine.

Elle ne gagnera pas toutes les parties : elle ne salira pas les souvenirs qui m’appartiennent et qu’Hélène a semé durant 20 années. Elle ne réduira pas cela tant que je serai là pour m’y opposer. Voilà ce qui me donne la force de tenir : cette rage de saboter à mon tour le travail de destruction de la Faucheuse.

Au cimetière, je place de jolies photos de ma fille, bien vivante, souriante, l’œil pétillant : bronzée , souriante et pleine de vie ! J’ai déposé une boite aux lettres pour que ses amis lui glissent des mots doux : une grosse bonbonnière pleine de papiers colorés.

Plus en retrait, j’ai déposé une autre boite, plus petite, chargée de papiers froissés, gris et sales et d’un crayon de papier aussi gris, machouillé et laid que possible : c’est la boite à gros mots, dans laquelle je déverse mes insultes, spécialement pour la Faucheuse. Et que c’est bon de lui charger la « gueule » de papiers aussi orduriers que ce qu’elle mérite.

Que ne ferait-on pas, pour survivre…jusqu’à personnaliser un ennemi invisible et inexistant ;

Si je pouvais fixer, quelque part dans ce cimetière, un punching-ball et des gants de boxe…

Et puis, un banc et une table, pour, une fois apaisée, pouvoir écrire à ma fille.

 

Corinne

 

 

Rédigé par latitevadrouille

Publié dans #La boite noire

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